JEAN-BAPTISTE MARTEL (1836-1915),
PHARMACIEN
Par Roger Martel
Ce texte a été publié en 2006 dans la revue de la Société d’histoire de Saint-Romuald, La Carvelle, et, en 2010, dans la revue de la Société d’histoire régionale de Lévis, La Seigneurie de Lauzon (numéro 116). Il a été augmenté de quelques renseignements et photos.
Jean-Baptiste Martel et sa pharmacie de Saint-Romuald
C’est à l’époque où le parlement du Québec a adopté pour la première fois une loi destinée à régir spécifiquement l’exercice de la pharmacie que Jean-Baptiste Martel a fondé la première pharmacie de Saint-Romuald; c’était dans les années 18701. M. Martel est mort en 1915, mais son entreprise, transformée par la force des choses, lui a survécu pendant environ soixante ans.
Jean-Baptiste Martel a vu le jour en 1836 à La-Jeune-Lorette (aujourd’hui Loretteville). Il appartenait à une famille de cultivateurs comptant de nombreux enfants. Le 14 février 1865, il a épousé Mathilde Chartré (décédée en 1927), fille d’une famille agricole nombreuse de La Misère (ce toponyme désignait le rang Saint-Jacques de La-Jeune-Lorette).
Jean-Baptiste Martel et son épouse, Mathilde Chartré
Avant 1874, J.-B. Martel et sa femme se sont établis à Québec, à l’intersection des rues Saint-Jean et d’Youville (ce coin, baptisé Place d’Youville, est communément appelé Carré d’Youville). Le bâtiment portait cette adresse : 4, rue Saint-Jean; les Martel y ont habité, le pharmacien y a tenu sa première pharmacie [son frère Joseph (1854-1938) deviendra son associé après avoir travaillé pour lui comme stagiaire].
Liste des pharmaciens de Québec, dans un annuaire paru
avant que Jean-Baptiste Martel ne déménage à Saint-Romuald.
On ne sait pas quand exactement la pharmacie de la rue Saint-Jean a été fondée ni quand elle a cessé d’exister, mais selon un article du journal Le Soleil de Québec, J.-B. Martel a « tenu son commerce pendant plusieurs années à Québec »2. Pourquoi J.-B. Martel a-t-il quitté Québec, pourquoi Joseph a-t-il fait de même ? Joseph a ouvert une pharmacie à Loretteville en 1874. Pour ce qui est de Jean-Baptiste, la réponse se trouve peut-être dans un document écrit à partir de notes biographiques rédigées par l’une des filles de ce dernier : Marie-Louise Emma (Sœur Sainte-Mathilde) : « D’année en année, le foyer des Martel s’enrichissait d’enfants, mais par contre leur résidence devenait exiguë. C’est alors que l’on chercha un endroit où la demeure serait spacieuse et la pharmacie prospère. À Saint-Romuald, non loin du grand fleuve, l’on trouva l’espace et le toit rêvés. En 1878, monsieur Martel y transporta sa petite famille. »3
À Saint-Romuald, les Martel s’installent rue Commerciale (aujourd’hui, l’adresse de la propriété est 2233-2235, chemin du Fleuve); ils habitent à cet endroit, la pharmacie y est installée; le bâtiment appartiendra à la famille jusqu’en 1988.
Jean-Baptiste Martel dans sa pharmacie de Saint-Romuald
dans les années 1870
Quelle formation professionnelle M. Martel avait-il reçu ? Dans les années 1850, nous a appris le professeur Gilles Barbeau, « l’exercice de la pharmacie n’était pas réglementé et l’enseignement de la pharmacie n’était pas organisé au Québec »; la profession de pharmacien « assurait sa continuité par un système d’apprentissage interne »4, avant que la Loi de pharmacie, créée en 1874, ne détermine les études à faire pour obtenir le droit de préparer et de vendre des médicaments. Il suffisait en effet de faire un stage de trois ans auprès d’un pharmacien pour devenir pharmacien. « Ceux qui le désiraient, dit encore M. Barbeau, allaient suivre des cours de matière médicale et de chimie avec les étudiants en médecine. Leur permis de pratique leur était octroyé par le Collège des médecins. » J.-B. Martel, à qui on donne le titre de pharmacien-chimiste dans plusieurs documents non officiels, a-t-il fréquenté l’Université Laval ? Fort probablement : dans les annuaires de 1862-1863 et de 1863-1864 de l’Université, il est fait mention d’un dénommé Jean Martel, « étudiant en pharmacie ».
Jean-Baptiste et Mathilde auront treize enfants. Ils arrivent à Saint-Romuald avec une progéniture importante : Mathilde (1866-1954), Marie-Louise Emma (1871-1956), Georgiana (1873-1958), Joseph (1874-1946) et Ludger-Edgar (1876-1949). Leurs autres enfants ont été : Ulric (1879-1926), Alphonse (1884-1959), Lucien (décédé en 1918), Jean-Baptiste (1881-1951) (quatre autres sont morts en bas âge : Marie-Eugénie, Eugénie, Jean-Baptiste et Marie-Alice). Marie-Louise Emma entrera dans une compagnie de religieuses : la Congrégation Notre-Dame de Montréal; Ulric sera prêtre; Alphonse sera pharmacien aux États-Unis pendant un temps, puis prêtre; Ludger-Edgar embrassera la carrière de pharmacien.
Dans sa pharmacie, J.-B. Martel vendait des préparations pharmaceutiques et d’autres médicaments, bien sûr (notons en passant que ses tablettes recevaient aussi des produits qui n’avaient aucun lien avec la santé humaine, dont des remèdes pour les animaux5). Après son décès, survenu à Saint-Romuald le 21 décembre 1915, sa famille chercha-t-elle un pharmacien pour le remplacer, ou ferma-t-elle le commerce? Elle ne fit ni l’une ni l’autre action. L’entreprise survécut, mais transformée étant donné que l’absence d’un pharmacien l’empêchait, par exemple, de composer des préparations prescrites par les médecins (sirops, toniques, purgatifs, etc.). Mais le nouveau commerce vendra des médicaments secrets (comme avant).6
Le nouveau commerce, qui s’appelait J.B. Martel Enrg, d’après une photo (une photo plus ancienne fait voir Jean-Baptiste Martel devant sa pharmacie de même que l’enseigne « Pharmacie J.B. Martel »), le nouveau commerce, disons-nous, vendait, outre des médicaments secrets, le fameux chocolat des Trappistines de Saint-Romuald, des cosmétiques, des livres; c’était aussi une papeterie : les enfants allaient y acheter des articles et des fournitures d’école.
Noces d’or de Mathilde Chartré
et de Jean-Baptiste Martel
Mathilde Chartré, la veuve de J.-B. Martel, tint le commerce de 1915 à 1927, année de sa mort. Sa fille Georgiana (1873-1958) la remplaça jusqu’à 1937. Joseph Martel père (1874-1946), enfant lui aussi de Jean-Baptiste Martel, acquit le commerce et s’en occupa tant qu’il vécut. À compter de 1946, c’est sa fille Jeanne (1909-1997) qui mena la barque [sa sœur Alice (1912-1998) l’épaulait]. L’entreprise ferma ses portes vers 1975; l’espace qu’elle occupait fut transformé en salle de séjour, dont purent jouir Jeanne et ses soeurs Germaine (1904-2000) et Alice jusqu’en 1988 (cette année-là, les trois célibataires vendirent leur maison et emménagèrent dans une résidence pour personnes âgées, à Québec).
La Société d’histoire de Saint-Romuald, en 2006, et la Société d’histoire régionale de Lévis, en 2010, ont voulu rendre hommage à Jean-Baptiste Martel, fondateur de la première pharmacie de Saint-Romuald; en 1999, la faculté de pharmacie de l’Université Laval a fait de même : dans le cadre des Fêtes du 75e anniversaire de la Faculté, elle a en effet honoré la famille des pharmaciens Martel. Parce que Jean-Baptiste Martel est à l’origine d’une « lignée » de pharmaciens, et que de son frère Joseph d’autres pharmaciens sont issus. La lignée de Jean-Baptiste comprend son fils Alphonse (1889-1959), qui a pratiqué la pharmacie aux États-Unis pour un temps avant de se tourner vers la prêtrise, son fils Ludger-Edgar (1876-1949), qui a exercé sa profession à Québec; et l’un des fils de ce dernier : Edgar (1910-1998), qui a exploité une pharmacie à Lévis de 1940 à 1972.7
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